Mémoires de ma vie Éditions Macula

Mémoires de ma vie


Redigés au soir de sa vie, peu après les célèbres Contes, les Mémoires de Perrault (1628-1703) s’interrompent au moment où l’auteur, tombé en disgrâce et supplanté auprès de Colbert par le propre fils du ministre, se retire dans la maison du faubourg Saint-Jacques pour se consacrer tout entier aux lettres.
Pendant vingt ans, Perrault a été l’homme de Colbert. Poète, théoricien, commis aux Bâtiments du roi, réformateur de l’orthographe, organisateur de l’Académie française, champion des Modernes dans la célèbre querelle avec Boileau – c’est aussi le laudateur infatigable du règne, l’« intellectuel organique » chargé de distribuer faveurs et prébendes, de contrôler ses pairs et de les faire travailler à l’exaltation du régime.
Intimement lié à son frère Claude (l’auteur de la colonnade du Louvre et de l’Observatoire), Charles le hisse à ses côtés au cœur du pouvoir. Ce sont les Perrault qui, par un harcèlement quotidien, parviennent à évincer le Bernin et à substituer leur projet au grand Louvre qu’avait dessiné l’illustre Italien.
Mais l’auteur délectable des Contes est avant tout un étonnant mémorialiste du siècle de Louis XIV, un portraitiste éblouissant de Colbert, Bernin ou Le Brun. Il nous peint la vie dans l’ombre du pouvoir : alliances, népotisme, ruses…
Tout un art de la répartie, de la litote, se dévoile ici : Perrault, quelques années avant Saint-Simon, nous livre un document incomparable sur la « société de Cour », au sens où l’entendait Norbert Elias.


Le Bernin


Le Bernin est, dans l”histoire de l’art, le premier architecte dont l’importance ne peut se comprendre qu’à bien saisir le travail parallèle du sculpteur – le plus grand du siècle. Sculpture et architecture opèrent ici pour une même fin : l’investissement passionné du spectateur en tant qu’enjeu et moteur de l’œuvre.

L’art baroque qui s’invente dans l’éclair blanc de l’Apollon et Daphné ou dans l’extase convulsive de la Sainte Thérèse se dilate bientôt à l’échelle d’une ville et d’une foi avec la colonnade de la place Saint-Pierre, le Baldaquin et la Cathedra.
Intime d’Urbain VIII, disciple des jésuites, porté, exalté par l’esprit de la Contre-Réforme, le Bernin donne à celle-ci ses monuments les plus fastueux.
Howard Hibbard (1928-1984) était professeur d’histoire de l’art à l’université Columbia. Il a publié de nombreux travaux sur l’art italien des XVIe et XVIIe siècles – notamment Carlo Maderna and Roman architecture, 1580-1630 (1972), Michelangelo (1975) et Caravaggio (1983).


Journal de voyage du Cavalier Bernin en France


Le 2 juillet 1665, Bernin, 67 ans, familier des rois et des papes, arrive à Paris auréolé d’une gloire immense. Fréart de Chantelou, 56 ans, est chargé de l’accompagner et de le servir. C’est un gentilhomme de grande culture, parlant italien, ami et collectionneur de Poussin. Pendant cinq mois, il va noter jour après jour les faits et gestes de son hôte.
Nous voyons Bernin aux prises avec Colbert, luttant contre la cabale des architectes français, s’acharnant à séduire un Louis XIV de 27 ans fasciné par sa propre image. Il lui promet « le plus grand et le plus noble palais d’Europe » et s’écrie, dès leur première rencontre : « Qu’on ne me parle de rien qui soit petit ! »

Chantelou nous conte par le menu les deux grandes affaires du voyage : le palais et le buste du roi. Bernin dessine quatre projets pour le Louvre. Nous assistons à toute l’entreprise – du plan à la première pierre. Son monument ne sera pas construit mais, de Hampton Court au palais royal de Stockholm, il influencera l’Europe pendant un siècle par le truchement de la gravure.
L’exécution du buste, telle que Chantelou nous la décrit, est un véritable traité de sculpture baroque : premiers crayons sur le vif (« pour s’imprimer le visage du roi dans l’esprit »), choix du bloc, ébauche… Puis vient, avec une virtuosité stupéfiante, l’attaque directe du marbre, poussée « jusqu’à la sueur » et au-delà…
Le Journal nous offre un éclairage précieux sur les mécanismes de la décision et sur les pratiques de la société de Cour – société d’influence où d’intenses rivalités s’affrontent sous le vernis d’une langue à l’économie sans pareille.

 


Vies de Poussin


Quatre auteurs du XVIIe siècle, quatre Vies, quatre histoires qui se recoupent ou se complètent, racontées par quatre témoins qui ont connu le peintre à Rome, dans quatre moments de son existence.
Non pas un évangile synoptique, une biographie édifiante, mais un faisceau de traits significatifs ou poignants – lettres, récits, anecdotes, analyses de toile, points de doctrine, aphorismes – d’où surgit un composé singulier d’artisan scrupuleux et de philosophe stoïcien qui résume toute son existence en quelques mots : « Je n’ai rien négligé. »
Un sort particulier est fait, dans notre ouvrage, à la Vie écrite par Félibien. Subvertissant le Beau idéal de Bellori, une esthétique à la française s’y affirme, sans dogmatisme, où les effets de la pratique – amitié des couleurs, tremblement de la main, mise en alerte du spectateur – viennent contrebalancer les rigidités du système académique.
Depuis trois siècles, Poussin, figure tutélaire de l’art classique, porte sur nous son regard exigeant, scrutateur : « Toutes les fois que je sors de chez Poussin, écrit Cézanne, je sais mieux qui je suis. »

Stefan Germer (1958-1998), qui a mis au point cette édition, était maître de conférences à l’université de Bonn, coresponsable de la revue Texte sur Kunst. Sa thèse monumentale, Kunst-Macht-Diskurs. Die intellektuelle Karriere des André Félibien, a été publiée par Wilhelm Fink Verlag, Munich, en 1997.


Le Culte des passions


Descartes ? « Il construit la sphère de la liberté humaine non pas en Dieu mais contre Dieu. »
Pascal ? « Il greffe sur l’augustinisme la doctrine de la raison d’État et parvient ainsi au paradoxe de la force pure et mauvaise à laquelle il faut docilement obéir »
La tragédie classique ? « C’est l’expression la plus parfaite de cette déchristianisation […] ; elle crée un monde nouveau de la vie sublime, indépendant de toute pensée chrétienne. »
Sécularisation, recherche d’une morale autonome, loin des préceptes de la religion : tel est le mouvement qu’Auerbach repère tout au long du XVIIe siècle, à la fois du côté des productions intellectuelles et du côté des comportements sociaux.
Il examine tour à tour le statut de l’«honnête homme» que Molière met en scène, la fureur des héroïnes raciniennes, et montre comment la langue des mystiques a engendré la rhétorique de l’amour-passion.
Il décrit les lieux de la vie artistique où se mêlent et s’affrontent, à Paris, les classes sociales ; il étudie les origines familiales des élites intellectuelles, analyse les mutations du parterre au théâtre et le glissement progressif de la bourgeoisie productive vers les mirages et les colifichets de la « société », vers les conforts de la rente.
Qu’il réfléchisse sur « la théorie politique de Pascal », sur « la cour et la ville » ou sur l’évolution sémantique du mot « passion », l’auteur de Mimésis déploie comme à l’accoutumée, dans ces essais, une érudition prodigieuse, en même temps qu’il révèle un XVIIe siècle tout tendu vers de nouvelles raisons d’être.

Erich Auerbach (1892-1957) s’inscrit dans la grande tradition des études romanes européennes, aux côtés de Leo Spitzer et d’Ernst Robert Curtius. Professeur de philologie à l’université de Marburg, destitué par les nazis en 1935, il se réfugie en Turquie où il écrit Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale (Gallimard, 1968) – avant de poursuivre sa carrière universitaire aux États-Unis, de 1947 à 1957.