Studiolo, n° 17 – Dossier « Raphaël/Raffaello »
Les éditions Macula sont particulièrement heureuses d’annoncer une nouvelle collaboration avec l’Académie de France à Rome – Villa Médicis et sa revue Studiolo, revue annuelle d’histoire de l’art qui existe depuis 2002 et est consacrée aux échanges artistiques entre l’Italie, la France et l’Europe de la Renaissance à nos jours. Cette coédition débute avec ce numéro 17, qui paraîtra dans une toute nouvelle maquette.
Chaque livraison comporte un dossier thématique, des varia, une rubrique regards critiques consacrée à l’historiographie et, dans la rubrique histoire de l’art à la Villa Médicis, une actualité des activités du département d’histoire de l’art et des chantiers de restauration de l’Académie de France à Rome – Villa Médicis. Enfin champ libre ouvre ses pages aux pensionnaires artistes de l’année en cours.
L’année 2020 marque le demi-millénaire de la mort de Raphaël. Le numéro 17 de Studiolo se joint aux célébrations par un dossier thématique dédié aux dernières recherches sur l’œuvre du peintre d’Urbino et se penche sur sa carrière, la richesse de sa production, le processus de création, ses multiples liens avec la musique et la poésie, etc., repensant ainsi les différentes facettes du mythe de Raphaël.
Le Dossier Pontormo
Excentrique, intense, précieuse, poignante, l’œuvre de Pontormo (1493-1557) est la source du premier maniérisme toscan. Reprise critique et débordement de la Renaissance classique, elle se trace une voie solitaire, dans une confrontation permanente avec le travail contemporian de Michel-Ange, tranchant toujours davantage par son étrangeté mélancolique sur l’évolution du maniérisme de Cour (Bronzino est son élève).
La pièce maîtresse de ce dossier est le Journal, déchiffré, annoté et traduit par Jean-Claude Lebensztejn à partir du manuscrit autographe. Cette édition bilingue a été publiée pour la première fois en 1979 dans le double numéro 5/6 de la revue Macula, le « dossier Pontormo » contient un texte d’Alessandro Parronchi, Note sur l’agnosticisme de Pontormo et une étude d’Yve-Alain Bois, Pontormo dessinateur.
François 1er imaginaire
François Ier imaginaire : les deux termes peuvent sembler contradictoires. Pour le public, le nom du vainqueur de Marignan évoque des réalités tout à fait tangibles : une forte présence charnelle, des banquets, des tournois, des chasses et des bals, des pourpoints de satin et de brocart couverts de bijoux, des châteaux fastueux : Blois, Chambord, Fontainbleau.
Mais à côté des réalités, il y a les fictions. À côté de l’organisateur du royaume et du protecteur des arts, apparaît un personnage qu’on ne soupçonnait pas : le double idéal de François Ier, à la fois plus et moins sérieux que le vrai. Humanistes, poètes, enlumineurs, graveurs, sculpteurs, ne cessent de le créer, au fur et à mesure des événements. Jusqu’à l’irruption brutale de quelques faits : l’humiliante défaite du héros devant Pavie, sa captivité, les héritiers en otages… Dans le règne des rois comme dans la vie des hommes, les faits et les fictions ne cessent de se jouer des tours.
De Bellini à Titien
De Rubens à Vélasquez, de Poussin à Delacroix (par le truchement de Véronèse), le génie européen a tiré sa substance de l’art vénitien du XVIe siècle. Un certain rapport à l’objet – et donc au concept – se défait en ces années décisives où c’est la notion de figure qui oscille : chez Giorgione, chez Titien, le brouillage progressif des contours annule l’opposition de la forme et du fond et suscite une surface sans hiérarchie, isotropique. L’aboutissement de cette manière est le Marsyas – magma, tableau informe au sens de Georges Bataille, surface où se joue dans un registre crépusculaire la contamination de la peinture et de la chair.
Tout au long de son livre, Johannes Wilde analyse ce moment. Il le repère dans les œuvres. Il n’est pas de ceux qui se contentent d’étudier les photographies. En héritier de l’école viennoise, il cherche le sens dans les parties matérielles du peintre – texture, forme, couleur, cadrage -, étudiant en particulier le tableau dans son contexte architectural et montrant comment, à Venise, le lieu d’exposition est un opérateur essentiel.
Johannes Wilde (1891-1970), d’origine hongroise, a été membre du cercle de Lukàcs, puis élève de Max Dvorak, à Vienne, lecteur de Hildebrand et Wölfflin. Assistant pendant quinze ans au Kunsthistorisches Museum de la capitale autrichienne, exilé en 1938, il enseigne pendant dix ans au célèbre Courtauld Institute de Londres. Ses deux spécialités étaient la peinture vénitienne et Michel-Ange. Il leur a consacré deux livres et quantité d’articles.
Recette véritable
Céramiste, géologue, précurseur de la paléontologie par ses observations sur les fossiles, Palissy est aussi un écrivain : ses textes comptent parmi les sommets de l’anti-Renaissance expérimentale, alchimique et maniériste.
Dans la Recette (1563), Palissy s’affirme comme l’un des précurseurs du roman autobiographique, un visionnaire de la trempe de Rabelais ou de Campanella, qui transporte Thélème aux champs et restitue l’Éden perdu au milieu de la France désolée des guerres de Religion.
On rencontre ici, tour à tour,
– l’écologiste qui supplie qu’on cesse d’« avorter la terre » ;
– le huguenot, porté par une foi intransigeante, qui nous retrace au jour le jour les épreuves de la petite communauté réformée de Saintonge en proie aux persécutions ;
– l’inventeur d’un « jardin délectable », que Palissy décrit de bout en bout, avec ses « cabinets rustiques », ses cavernes factices, ses bosquets sculptés, ses mousses feintes, ses girouettes musicales ;
– l’architecte utopiste qui trouve l’inspiration de sa « ville de forteresse » dans la structure des coquillages ;
– le rêveur de la matière, qui voit dans le sel un principe unificateur du monde, et qui dialogue, par-delà les siècles, avec Léonard, Goethe ou Bachelard.
Les Grottes maniéristes en Italie au XVIe siècle
« À l’heureux désordre qui règne en ces lieux, on croirait qu’ils doivent tout à la nature ; on croirait du moins que la nature a voulu jouer l’art et l’imiter à son tour. » Le Tasse, 1575
Le phénomène des grottes artificielles, qui se multiplient en Italie au XVIe siècle, à la demande des princes, s’inscrit au croisement de l’histoire de l’art et des sciences naturelles. Dans les grottes, les artistes ne cherchent pas à imiter la nature dans ses effets, mais dans ses causes (non pas la natura naturata, mais la natura naturans).
Ce qui suppose une réflexion sur la genèse de la nature et une véritable mise en scène de ses agencements – mise en scène qui passe par l’utilisation de machineries de théâtre, de mécanismes hydrauliques et d’automates.
Figurés dans les grottes, les thèmes de la génération des pierres, de la pétrification des corps non minéraux, du déluge et de l’immersion ne renvoient pas à la vision pastorale, mais à une conception pessimiste des forces qui s’y exercent.
Derrière les figures, les textures. Mais aussi : les figures en tant que textures, émergeant du chaos de la matière. Ou l’inverse : s’abîmant dans l’indétermination pariétale.
Entre nature fortuite et artifice humain, entre lieu sauvage et espace cultivé, la grotte artificielle ébranle les catégories usuelles de la représentation du monde et la répartition traditionnelle des savoirs qui visent à l’interpréter.
Philippe Morel est professeur d’histoire de l’art à l’université de Paris I-Sorbonne. Il a notamment publié Le Parnasse astrologique (École française de Rome ; 1991), L’Art italien (Citadelles et Mazenod, 1997) et Les Grotesques, les figures de l’imaginaire dans la peinture italienne de la fin de la Renaissance (Flammarion, 1997).
Le Style rustique
Maniérisme : le terme a moins d’un siècle, c’est une invention de l’École de Vienne. Il a désigné tour à tour, chez les historiens d’art, le pathos (Rosso, Pontormo, Greco), le luxe, l’ostentation décorative (Primatice, Salviati), le néoplatonisme (Zuccari)…
En 1926, le jeune Ernst Kris entreprend de réinventer ce concept : il place au cœur du maniérisme les notions de naturalisme et d’investigation scientifique. L’art du XVIe siècle devient l’une des modalités de la saisie intellectuelle du monde. L’enquête prime la visée esthétique. L’atelier – avec ses pratiques empiriques – est désormais le lieu privilégié où convergent l’art, la technique, la science, la nature. Artisans de génie, inventeurs infatigables, Jamnitzer, Hoefnagel, Palissy sont les héros de Kris.
Ce texte pionnier de Kris, qui n’était disponible dans aucune langue depuis trois quarts de siècle, est suivi d’un essai de Patricia Falguières qui met en perspective le matérialisme krisien. Elle étudie le destin du « menu fretin de l’art » – de ce peuple d’insectes et d’animaux multipliés à l’infini par le moulage et la copie. Plus qu’à la nature, quantité de ces objets, de ces dessins, empruntent à d’autres dessins, d’autres objets, dans une ronde sans fin de signes et de formes qui font du XVIe siècle le siècle de la prolifération internationale des images.
Ernst Kris (1900-1957) a publié deux études sur le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt (1932), ainsi que deux ouvrages, L’Image de l’artiste (avec Otto Kurz), trad. française 1988 ; et Psychanalyse de l’art, trad. française 1978.
Perpetuum mobile
Un formidable élan créateur anime la pensée et l’art de la Renaissance. Michel Jeanneret tente de capter cette effervescence, de communiquer cet enthousiasme.
Ce livre est à la mesure de la culture, extraordinairement diverse et féconde, du XVIe siècle européen. Il interroge de nombreux écrivains, d’Érasme à Rabelais, de Ronsard à Du Bartas. Il prend à témoins différents philosophes : Marsile Ficin, Montaigne et Giordano Bruno. Il analyse les dessins de Léonard, les statues de Michel-Ange et entraîne le lecteur dans les jardins de la Renaissance italienne.
Partout, Michel Jeanneret découvre l’attrait des métamorphoses. Les savants perçoivent le monde comme un système instable, un corps flexible ; ils rêvent d’une création qui, toujours en cours, n’en finirait pas de réinventer les formes de la vie.
Animées par une même passion pour les naissances et les transformations, les œuvres d’art sont conçues, elles aussi, comme des chantiers ouverts, des énergies potentielles. La perfection de l’art tient à la promesse d’un développement futur.
Exploration des puissances de la nature, foisonnement intellectuel, inventivité de la recherche ; tout cela est à l’origine de notre modernité.
Michel Jeanneret est professeur de littérature française à l’université de Genève. Ses travaux portent essentiellement sur la Renaissance : la poésie religieuse (Poésie et tradition biblique au XVIe siècle, Corti, 1969), Rabelais et Montaigne (Des Mets et des mots. Banquets et propos de table à la Renaissance, Corti, 1987 et Le Défi des signes. Rabelais et la crise de l’interprétation à la Renaissance, Paradigme, 1994).
Cornucopia. Figures de l’abondance au XVIe siècle
« Le caractère réflexif et le non-finito de ces chefs-d’œuvre tumultueux et inquiets [qui se succèdent depuis Érasme jusqu’à Montaigne] n’ont jamais été analysés avec cette subtilité et cette vigueur. […] Terence Cave nous donne la sensation “shakespearienne” de la prose et de la poésie françaises du XVIe siècle. Et il nous aide à pressentir comment l’on a pu passer de cet art “métaphysique” au “mystère en pleine lumière” des Belles-Lettres laïcisées du XVIIe siècle. »
Marc Fumaroli
« Ce livre ouvre une voie royale sur la littérature du XVIe siècle. Dans la première partie, une synthèse sur les enjeux majeurs de la poétique et de la rhétorique à la Renaissance (imitation, interprétation, improvisation, inspiration…) avec, pour témoin principal, Érasme. Dans la seconde, trois chapitres – devenus autant de références obligées – sur Rabelais, Ronsard et Montaigne.
Au manuel d’Érasme sur la multiplicité des mots et des choses répondent la dynamique lexicale d’un Rabelais, la prolifération poétique d’un Ronsard, la productivité textuelle d’un Montaigne. Dans ces débordements, Terence Cave voit les symptômes d’une crise. Si les auteurs de la Renaissance en disent trop, c’est que, frappés par la malédiction de Babel, ils sont toujours à la recherche d’une plénitude qui leur échappe. »
Michel Jeanneret
Terence Cave occupe une chaire de littérature française au St John’s College d’Oxford. Il est l’auteur de Devotional Poetry in France 1570-1613 (1969), Ronsard the Poet (1973) et Recognitions: A Study in Poetics (1988).
Palladio
Le monde occidental compte des centaines de milliers de maisons, d”églises et d’édifices publics à façade symétrique ornée de demi-colonnes et surmontées d’un fronton, qui dérivent des schémas conçus par Andrea Palladio. C’est l’architecte qu’on a le plus imité. Son influence a dépassé celle de tous les autres architectes de la Renaissance réunis.
Bien des générations ont vu en Palladio l’incarnation parfaite de la tradition classique, en partie à cause de ses références manifeste à l’antiquité gréco-romaine, qui sont en réalité superficielles. La maîtrise souveraine de la composition, la subtilité des proportions doivent certes beaucoup, en l’occurrence, à des procédures mathématiques établies dans un rapport étroit avec l’harmonie musicale. Mais elles sont constamment relevées par un art, une sensualité, un bonheur des lumières, des textures, des couleurs (stuc, pierre, badigeon) qui font de Palladio, selon le Pr. Ackerman, « l’équivalent de Véronèse en architecture ».
L’auteur, examinant tour à tour, de Venise à Vicence, les principaux chefs-d’œuvre de l’artiste, s’étend sur les conditions historiques (investissement de la Terre ferme, révolution agronomique) qui ont permis la multiplication des célèbres villas. Il fait ressortir les similitudes d’ordre socio-économique qui ont favorisé l’extraordinaire succès du système palladien dans l’Angleterre du XVIIe siècle et l’Amérique de Jefferson.
James S. Ackerman, né en 1919 à San Francisco, a été professeur à l’université de Harvard et membre de l’Académie américaine de Rome. Il est notamment l’auteur de L’architecture de Michel-Ange. Son Palladio, publié en Angleterre par Penguin Books, est un classique de l’histoire de l’art anglo-saxonne.