Les Grottes maniéristes en Italie au XVIe siècle Éditions Macula

Les Grottes maniéristes en Italie au XVIe siècle


« À l’heureux désordre qui règne en ces lieux, on croirait qu’ils doivent tout à la nature ; on croirait du moins que la nature a voulu jouer l’art et l’imiter à son tour. » Le Tasse, 1575
Le phénomène des grottes artificielles, qui se multiplient en Italie au XVIe siècle, à la demande des princes, s’inscrit au croisement de l’histoire de l’art et des sciences naturelles. Dans les grottes, les artistes ne cherchent pas à imiter la nature dans ses effets, mais dans ses causes (non pas la natura naturata, mais la natura naturans).
Ce qui suppose une réflexion sur la genèse de la nature et une véritable mise en scène de ses agencements – mise en scène qui passe par l’utilisation de machineries de théâtre, de mécanismes hydrauliques et d’automates.
Figurés dans les grottes, les thèmes de la génération des pierres, de la pétrification des corps non minéraux, du déluge et de l’immersion ne renvoient pas à la vision pastorale, mais à une conception pessimiste des forces qui s’y exercent.
Derrière les figures, les textures. Mais aussi : les figures en tant que textures, émergeant du chaos de la matière. Ou l’inverse : s’abîmant dans l’indétermination pariétale.
Entre nature fortuite et artifice humain, entre lieu sauvage et espace cultivé, la grotte artificielle ébranle les catégories usuelles de la représentation du monde et la répartition traditionnelle des savoirs qui visent à l’interpréter.

Philippe Morel est professeur d’histoire de l’art à l’université de Paris I-Sorbonne. Il a notamment publié Le Parnasse astrologique (École française de Rome ; 1991), L’Art italien (Citadelles et Mazenod, 1997) et Les Grotesques, les figures de l’imaginaire dans la peinture italienne de la fin de la Renaissance (Flammarion, 1997).


Le Style rustique


Maniérisme : le terme a moins d’un siècle, c’est une invention de l’École de Vienne. Il a désigné tour à tour, chez les historiens d’art, le pathos (Rosso, Pontormo, Greco), le luxe, l’ostentation décorative (Primatice, Salviati), le néoplatonisme (Zuccari)…
En 1926, le jeune Ernst Kris entreprend de réinventer ce concept : il place au cœur du maniérisme les notions de naturalisme et d’investigation scientifique. L’art du XVIe siècle devient l’une des modalités de la saisie intellectuelle du monde. L’enquête prime la visée esthétique. L’atelier – avec ses pratiques empiriques – est désormais le lieu privilégié où convergent l’art, la technique, la science, la nature. Artisans de génie, inventeurs infatigables, Jamnitzer, Hoefnagel, Palissy sont les héros de Kris.

Ce texte pionnier de Kris, qui n’était disponible dans aucune langue depuis trois quarts de siècle, est suivi d’un essai de Patricia Falguières qui met en perspective le matérialisme krisien. Elle étudie le destin du « menu fretin de l’art » – de ce peuple d’insectes et d’animaux multipliés à l’infini par le moulage et la copie. Plus qu’à la nature, quantité de ces objets, de ces dessins, empruntent à d’autres dessins, d’autres objets, dans une ronde sans fin de signes et de formes qui font du XVIe siècle le siècle de la prolifération internationale des images.

Ernst Kris (1900-1957) a publié deux études sur le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt (1932), ainsi que deux ouvrages, L’Image de l’artiste (avec Otto Kurz), trad. française 1988 ; et Psychanalyse de l’art, trad. française 1978.