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Art incendiaire


Grandioses, sublimes, magnifiques, mais aussi effrayants, bruyants et parfois ratés, les feux d’artifice sont surtout éphémères. Dès lors, il convient de trouver une manière de les figer.
La première partie de l’ouvrage de Kevin Salatino aborde la représentation des feux d’artifice, éléments paroxystiques des fêtes du XVe au XVIIIe siècle en Europe. Hautement politiques, ils sont l’instrument de rayonnement de la puissance des États, mais leur valeur de propagande tient moins dans le spectacle lui-même que dans sa « traduction » sous forme de gravures, dessins, livres illustrés ou peintures. Ceux-ci, comptes rendus, fastueux et luxuriants de détails, disséminés à travers l’Europe, s’avéraient particulièrement efficaces pour immortaliser l’événement. C’est sur cette riche documentation que se penche l’auteur, décryptant pour nous l’extraordinaire variété des langages formels développés par les artistes afin de saisir le volatile, le fugace, l’éphémère.
L’auteur consacre la seconde partie d’Art incendiaire aux feux d’artifice et à la théorie du sublime codifiée par Edmund Burke au milieu du XVIIIe siècle. La peur (attisée par les bruits épouvantables des explosions), mêlée au plaisir suscité par ces œuvres d’art et leur magnificence, provoque le sublime. Comment, dès lors, ne pas rapprocher les feux d’artifice des éruptions volcaniques, terrifiantes mais si magnifiques, pourvoyeuses de sublime ? La littérature aussi a usé de l’artifice et de son feu et nombreux sont les écrivains qui, comme Goethe, en ont pris prétexte pour éveiller l’idée érotisante d’explosion extatique.
Kevin Salatino montre ainsi qu’au début des Temps modernes, en Europe, les feux d’artifice étaient porteurs d’une pluralité de sens, parmi lesquels une manifestation du politique, de la poétique et de l’érotique.
Kevin Salatino écrit Art incendiaire. La représentation des feux d’artifice en Europe au début des Temps modernes en 1997, alors qu’il est conservateur du Département des arts graphiques au Getty Research Institute. Il prendra ensuite en 2000 la tête du Département des imprimés et des dessins au Los Angeles County Museum of Art, puis en 2009 du Bowdoin College Museum of Art de Brunswick (Maine) avant de devenir, en 2012, directeur des Art Collections du Huntington Library, Art Collections and Botanical Gardens, à San Marino (Californie), poste qu’il occupe aujourd’hui.


Poétique du banc


Le banc. On s”y assied, en général, sans trop y réfléchir, dans ces moments indispensables de relâchement ; on s’y repose, on revient à soi, on se soustrait l’espace d’un instant à l’effort permanent de se relier au monde. Mais on ne le regarde pas. Or c’est en partie lui qui oriente et dirige notre regard et mérite donc toute notre attention.
L’Antiquité connaissait déjà les bancs publics – et les vestiges de Pompéi ou d’Agrigente sont précieux à cet égard. C’est cependant en Toscane, au sein des nouveaux espaces urbains du XIIIe et du XIVe siècles, que les bancs, les panche di via, acquièrent un rôle majeur et trop souvent négligé. Michael Jakob brosse un panorama poétique et érudit de bancs célèbres qui, posés à des endroits privilégiés ou non, deviennent lieux de pouvoir et de mises en scène du regard : le banc des mères de famille, placé face à l’Île des Peupliers où était inhumé Jean-Jacques Rousseau, à Ermenonville ; les étranges bancs de Bomarzo, le célèbre « parc des monstres » près de Viterbe, qui orientent la découverte de scènes fantastiques ; le banc préféré de Lénine dans sa datcha de Gorki ; le banc serpentin du parc Güell, à Barcelone…
Afin d’en dégager toute la richesse expressive, l’auteur interroge aussi les représentations du banc, qu’elles soient littéraires (le banc de La Nausée de Sartre, les nombreux bancs de L’Arrière-saison de Stifter), picturales (les bancs de la campagne anglaise peinte par Gainsborough, ceux de Manet, Monet, van Gogh) ou cinématographiques (le banc de la scène finale de L’Avventura d’Antonioni).
Il compose ainsi une histoire originale qui changera définitivement le regard que nous portons sur cet objet, ponctuation visuelle et symbolique de nos paysages.

Michael Jakob est professeur de théorie et histoire du paysage à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (Hepia), Genève, professeur de littérature comparée à l’université de Grenoble et chargé de cours à l’EPFL.


Aby Warburg et l’image en mouvement


Fondateur de la discipline iconologique, créateur du prestigieux institut qui porte son nom, Aby Warburg (1866-1929) a compté parmi ses disciples les plus célèbres historiens de l’art du siècle : Panofsky, Wind, Saxl…

Mais ces héritiers ont, pour la plupart, préféré développer une «iconologie restreinte» fondée sur le déchiffrement et l’interprétation des symboles – là où Warburg, nourri de Nietzsche et de Burckhardt, entendait assumer les risques d’une «iconologie critique».

Écrire l’histoire de l’art, c’est non seulement confronter des objets hétérogènes, mais repérer dans l’œuvre même les lignes de fractures, les tensions, les contradictions, les énergies au travail : le tableau est la mise en suspens de facteurs incommensurables.

Simultanément, Warburg renverse l’interprétation de Winckelmann (qui cherchait dans l’art grec «la noble simplicité et la grandeur sereine») et lui substitue comme véritable source de la Renaissance l’élan dionysiaque, l’expression du mouvement, de la danse, de la transe personnifiés par la nymphe échevelée, la ménade extatique et convulsée. Avec Warburg, l’histoire de l’art n’opère plus aux confins de l’anthropologie : elle en est une catégorie. Philippe-Alain Michaud prolonge les intuitions de Warburg en introduisant dans son analyse le daguerréotype, les expériences de Marey, le cinéma primitif, la danse de Loïe Fuller, toutes pratiques qui affleurent dans l’interprétation warburgienne des images et qui en éclairent la singularité.

Philippe Alain Michaud est conservateur chargé de la collection des films au Musée national d’art moderne Centre Georges-Pompidou.


Le Rituel du Serpent


Il se pourrait que Le Rituel du Serpent soit la meilleure introduction à l’œuvre profonde et singulière d’Aby Warburg (1866 – 1929), le chemin le plus direct pour atteindre le cœur de sa pensée.
Entreprise à vingt-neuf ans, son équipée chez les Hopis nous apparaît comme l’expression spatialisée d’un désir incoercible d’échapper aux confinements, aux conditionnements de son milieu et de sa discipline académique : « J’étais sincèrement dégoûté de l’histoire de l’art esthétisante. » Pour ce spécialiste déjà réputé du Quattrocento, attentif à la grande voix impérieuse de Nietzsche, « la contemplation formelle de l’image » ne pouvait engendrer que « des bavardages stériles ».

Warburg passera cinq mois en Amérique. Il observe, dessine, photographie les rituels indiens. Rentré à Hambourg, il organise trois projections dans des photo-clubs. Puis plus rien. Silence. Il reprend sa vie de chercheur, publie des essais qui feront date. L’épisode indien est oublié, refoulé.
Mais voici qu’en 1923, vingt-sept ans après son enquête chez les Hopis, Warburg, interné dans la clinique psychiatrique de Ludwig Binswanger, à Kreuzlingen, pour de graves troubles mentaux accentués par la guerre, demande avec insistance à prononcer une conférence. Alors resurgissent devant soignants et malades tous les détails du voyage américain : danses, sanctuaires, parures, gestes, habitats, dessins, rencontres ; mais aussi la chaîne d’associations qui, sur le thème ambivalent du serpent – cruel avec Laocoon, bénéfique avec Asclépios, séducteur et mortifère avec les nymphes serpentines de Botticelli ou de Ghirlandaio –, n’a cessé d’entraîner Warburg d’une Antiquité millénaire jusqu’aux pratiques cérémonielles des « primitifs » (et vice versa).

Introduit par l’historien de l’art Joseph L. Koerner, Le Rituel du Serpent s’accompagne du journal tenu par Warburg aux États-Unis, d’un texte de son élève et successeur Fritz Saxl et d’un essai de Benedetta Cestelli Guidi.