Berlin est trop grand pour Berlin
Hanns Zischler arpente Berlin depuis plus de quarante ans, à pied, à vélo, en bus, avec une curiosité jamais assouvie et une faculté d’étonnement sans limite. Plus qu’un objet d’étude, le territoire de la ville devient dès lors le sujet de ce qu’il faut bien nommer une passion amoureuse, dont le présent livre nous confie quelques séquences choisies, une série d’impressions ou de tableaux à la fois sensibles et savants.
Dans cet ouvrage, Learning by Walking et grammaire générative des jambes, Hanns Zischler déroule la « phrase urbaine » berlinoise en peuplant sa promenade de figures toujours singulières : l’élégant Oskar Huth et les mille ressources de sa vie clandestine, la poétesse Gertrud Kolmar prise dans la nasse nazie sans que ce funeste destin ne réussisse pourtant à infléchir sa remarquable « tenue », le paysagiste Erwin Barth dont la vision configure encore le visage de Berlin. L’esprit curieux de l’auteur emboite le pas d’un inspecteur des chaussées, s’enchante d’une enquête de socio-ethnologie des jeux d’enfants, se souvient d’Agathe Lasch, linguiste juive qui dut émigrer en Pennsylvanie pour achever son dictionnaire du dialecte berlinois. Zischler s’assied à la table des architectes Hans Scharoun ou Erich Mendelssohn et n’hésite pas, autre utopie, à dresser comme un emblème au cœur de cette ville qui n’a pas de centre la monumentale tour rêvée par Tatline.
Hanns Zischler est né en 1947. Acteur (chez Wim Wenders, Chantal Akerman, Jean-Luc Godard ou Olivier Assayas), il est également photographe, éditeur et essayiste. Ont été traduits en français I Wouldn’t Start from Here (Macula, 2018), Visas d’un jour (Bourgois, 1994), Kafka va au cinéma (éd. des Cahiers du cinéma, 1996), La Fille aux papiers d’agrumes, (Bourgois, 2016).
Brunelleschi
L’invention de la perspective monoculaire, ou plutôt sa vérification par des expériences d’optique, et l’érection spectaculaire de la coupole de Sainte-Marie-des-fleurs à Florence, sans cintre ni échafaudage extérieur, sont les actes fondateurs de la Renaissance italienne. Brunelleschi formule la théorie d’un espace unifié, abstrait mais mesurable, qui sera pendant cinq siècle le langage commun du peintre, de l’architecte et du sculpteur occidental. Premier démiurge du Quattrocento, épris de mathématiques et de cosmogonie, amoureux des restes de l’architecture antique, ingénieur, urbaniste, stratège et sculpteur, il incarne avec éclat l’idéal humaniste. Il marque aussi le visage de Florence, sa ville natale où il construit églises et chapelles, des palais et un hôpital.
L’essai fondamental du Pr. Argan, publié en 1955, est à l’origine des recherches sur l’inscription sociale du nouveau rationalisme brunelleschien. On y trouve des pages décisives sur la fonction de la perspective comme machine productive d’espace (picturale, architectural). La distinction dégagée par G.C. Argan entre plan (projectif) et surface (matérielle) s’est révélée lourde d’implications dans la recherche contemporaine – notamment en peinture.
Giulio Carlo Argan (1909-1992), ancien conservateur et titulaire de la chaire d’histoire de l’art à Rome, a profondément marqué la théorie de l’art en Italie. Il a publié de nombreux ouvrage, parmi lesquels Beato Angelico, Botticelli, Borromini, L’Europe des capitales, Le Bauhaus. Le Pr. Argan a été maire de Rome de 1976 à 1979.
La Formation de Le Corbusier
Que le disciple de Perret, le champion du fonctionnalisme, l’inventeur de la «machine à habiter», le partisan d’un urbanisme de la table rase ait puisé son inspiration et sa vision messianique dans les Grands initiés de Schuré, le Zarathoustra de Nietzsche, ou l’Art de demain de Provensal – voilà qui paraîtrait incroyable si Paul V. Turner ne le démontrait dans ce livre avec l’évidence d’une enquête objective.
L’auteur a entrepris l’examen méthodique de la bibliothèque de Le Corbusier, il en a établi la chronologie, feuilleté page à page les ouvrages, recopié les notes, étudié les passages soulignés. Il nous révèle l’univers philosophique et moral du jeune Jeanneret, son apprentissage intellectuel.
Après quoi Turner nous montre la persistance de ces premières acquisitions, leur présence souterraine dans les textes et les œuvres ; il explique l’origine des « tracés régulateurs », du « Modulor », et de bon nombre de choix esthétiques qui ont fait la célébrité de Le Corbusier : le pilotis, l’horreur de l’ornement, l’obsession géométrique…
Un livre qui est un «roman d’apprentissage» et qui renouvelle de fond en comble l’image qu’on s’était faite du plus illustre architecte du siècle.
Paul V. Turner, né en 1939, est architecte et historien d’art. Il enseigne depuis 1972 à l’université de Stanford, Californie. Outre son Le Corbusier, il a publié deux ouvrages : The Founders and the Architects et Campus, consacré à l’architecture universitaire.
Loos
On a tant fait d”Adolf Loos (1870-1933) le grand imprécateur, le fanatique de la « boîte à chaussures », l’adversaire de tout ornement – bref, le précurseur du Mouvement moderne, qu’on s’étonne de trouver ici, grâce à l’analyse d’un auteur tout à la fois architecte et théoricien – et qui procède par textes, plans et photos – un autre Loos, décapant et paradoxal.
Pour Loos, la forme classique est une seconde nature. Nourri de Palladio et de Schinkel, il ne veut rien céder de l’héritage. Il mise tout sur la dialectique de l’ancien et du nouveau, de l’histoire et de la technique, de l’ornemental et du décoratif, du privé et du public, de la nature et de la culture.
Quelques bâtiments, quelques pamphlets, des dizaines de projets ont suffi à lui assurer une influence mondiale – de Schindler à Neutra, de Le Corbusier à Aldo Rossi.
La pensée et l’action de Loos préfigurent Walter Benjamin et sa philosophie de l’histoire : « À nous comme à chaque génération précédente fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. Cette prétention, il est juste de ne pas la négliger. »
Panayotis Tournikiotis, né en 1955, enseigne la théorie à l’École d’architecture d’Athènes. Architecte (D.P.L.G.) de Paris et de l’École polytechnique d’Athènes, il a soutenu en 1988 une thèse d’État sur l’historiographie de l’architecture moderne (sous la direction de Françoise Choay).
Le Bernin
Le Bernin est, dans l”histoire de l’art, le premier architecte dont l’importance ne peut se comprendre qu’à bien saisir le travail parallèle du sculpteur – le plus grand du siècle. Sculpture et architecture opèrent ici pour une même fin : l’investissement passionné du spectateur en tant qu’enjeu et moteur de l’œuvre.
L’art baroque qui s’invente dans l’éclair blanc de l’Apollon et Daphné ou dans l’extase convulsive de la Sainte Thérèse se dilate bientôt à l’échelle d’une ville et d’une foi avec la colonnade de la place Saint-Pierre, le Baldaquin et la Cathedra.
Intime d’Urbain VIII, disciple des jésuites, porté, exalté par l’esprit de la Contre-Réforme, le Bernin donne à celle-ci ses monuments les plus fastueux.
Howard Hibbard (1928-1984) était professeur d’histoire de l’art à l’université Columbia. Il a publié de nombreux travaux sur l’art italien des XVIe et XVIIe siècles – notamment Carlo Maderna and Roman architecture, 1580-1630 (1972), Michelangelo (1975) et Caravaggio (1983).
Journal de voyage du Cavalier Bernin en France
Le 2 juillet 1665, Bernin, 67 ans, familier des rois et des papes, arrive à Paris auréolé d’une gloire immense. Fréart de Chantelou, 56 ans, est chargé de l’accompagner et de le servir. C’est un gentilhomme de grande culture, parlant italien, ami et collectionneur de Poussin. Pendant cinq mois, il va noter jour après jour les faits et gestes de son hôte.
Nous voyons Bernin aux prises avec Colbert, luttant contre la cabale des architectes français, s’acharnant à séduire un Louis XIV de 27 ans fasciné par sa propre image. Il lui promet « le plus grand et le plus noble palais d’Europe » et s’écrie, dès leur première rencontre : « Qu’on ne me parle de rien qui soit petit ! »
Chantelou nous conte par le menu les deux grandes affaires du voyage : le palais et le buste du roi. Bernin dessine quatre projets pour le Louvre. Nous assistons à toute l’entreprise – du plan à la première pierre. Son monument ne sera pas construit mais, de Hampton Court au palais royal de Stockholm, il influencera l’Europe pendant un siècle par le truchement de la gravure.
L’exécution du buste, telle que Chantelou nous la décrit, est un véritable traité de sculpture baroque : premiers crayons sur le vif (« pour s’imprimer le visage du roi dans l’esprit »), choix du bloc, ébauche… Puis vient, avec une virtuosité stupéfiante, l’attaque directe du marbre, poussée « jusqu’à la sueur » et au-delà…
Le Journal nous offre un éclairage précieux sur les mécanismes de la décision et sur les pratiques de la société de Cour – société d’influence où d’intenses rivalités s’affrontent sous le vernis d’une langue à l’économie sans pareille.
Art et Architecture en France, 1500-1700
Véritable « usuel » dans les pays anglo-saxons, « le Blunt » est le seul ouvrage à présenter dans un format maniable toute l’histoire de l’art français – architecture, sculpture, peinture – de la fin de l’époque gothique à la mort de Louis XIV.
Ce livre nous décrit la conquête d’une hégémonie : pendant deux siècles, des Valois aux Bourbons, tous les responsables du pouvoir vont poursuivre méthodiquement le même objectif : faire de Paris, bientôt de Versailles, le centre de la civilisation européenne.
La splendeur de Chambord et des châteaux de la Loire, la politique d’importation culturelle de François Ier, l’école de Fontainebleau, Henri IV et l’urbanisme parisien, l’apogée du classicisme, le magistère de Colbert et Le Brun font l’objet de descriptions extrêmement précises. Les analyses consacrées à Philibert de l’Orme, Primatice, Goujon, Pilon, Salomon de Brosse, Mansart, Le Vau, le long chapitre consacré aux Le Nain, à La Tour, Champaigne, Le Lorrain, et surtout Poussin, comptent parmi les points forts de l’ouvrage. Celui-ci est également précieux par l’abondance de ses notes, chaque nom propre s’accompagne de références bibliographiques. La bibliographie générale a été remise à jour en 1999.
Né en 1907, mort en 1983, Anthony Blunt était le plus éminent des historiens d’art britanniques. Longtemps directeur de l’institut Courtauld et conservateur des collections royales, il a voué l’essentiel de ses recherches à l’art français. Peu avant sa mort, il avait revu la traduction de Monique Chatenet – elle-même spécialiste de l’architecture française du XVIe siècle – dont il salue dans sa préface l’élégance et la clarté
Palladio
Le monde occidental compte des centaines de milliers de maisons, d”églises et d’édifices publics à façade symétrique ornée de demi-colonnes et surmontées d’un fronton, qui dérivent des schémas conçus par Andrea Palladio. C’est l’architecte qu’on a le plus imité. Son influence a dépassé celle de tous les autres architectes de la Renaissance réunis.
Bien des générations ont vu en Palladio l’incarnation parfaite de la tradition classique, en partie à cause de ses références manifeste à l’antiquité gréco-romaine, qui sont en réalité superficielles. La maîtrise souveraine de la composition, la subtilité des proportions doivent certes beaucoup, en l’occurrence, à des procédures mathématiques établies dans un rapport étroit avec l’harmonie musicale. Mais elles sont constamment relevées par un art, une sensualité, un bonheur des lumières, des textures, des couleurs (stuc, pierre, badigeon) qui font de Palladio, selon le Pr. Ackerman, « l’équivalent de Véronèse en architecture ».
L’auteur, examinant tour à tour, de Venise à Vicence, les principaux chefs-d’œuvre de l’artiste, s’étend sur les conditions historiques (investissement de la Terre ferme, révolution agronomique) qui ont permis la multiplication des célèbres villas. Il fait ressortir les similitudes d’ordre socio-économique qui ont favorisé l’extraordinaire succès du système palladien dans l’Angleterre du XVIIe siècle et l’Amérique de Jefferson.
James S. Ackerman, né en 1919 à San Francisco, a été professeur à l’université de Harvard et membre de l’Académie américaine de Rome. Il est notamment l’auteur de L’architecture de Michel-Ange. Son Palladio, publié en Angleterre par Penguin Books, est un classique de l’histoire de l’art anglo-saxonne.
L’Architecture de Michel-Ange
Sculpteur, peintre, po�te et architecte, incarnation du génie solitaire, Michel-Ange a révolutionné les arts. Et cela s’est tout particulièrement vérifié en architecture. Pour le démontrer, James S. Ackerman a résolument écarté les traditionnels concepts stylistiques, trop restrictifs. Pour lui, il ne s’agit pas de savoir si, par exemple, Michel-Ange appartient au maniérisme. C’est par une lecture serrée des œuvres, attentive à leur élaboration complexe et à la pluralité des intentions, esthétiques et symboliques qui les sous-tendent, qu’il parvient à dégager la singularité et l’indomptable liberté de l’auteur de la bibliothèque Laurentienne, de la place du Capitole ou encore de l’achèvement de Saint-Pierre.
Cet ouvrage se divise en deux parties complémentaires : une série d’analyses et d’interprétations sur les diverses œuvres de Michel-Ange – où l’on remarquera un chapitre fondamental sur la théorie et un autre sur les fortifications de Florence – et, en fin de volume, un catalogue exhaustif des œuvres considéré comme une référence. La bibliographie se signale par son exceptionnelle richesse.